Nous nous interrogeons fortement sur les objectifs visés tant sur le fond que sur la forme :
– l’administration presse les collègues de transmettre les résultats de ces évaluations, pour classer les écoles, les populations, les enseignants ? Tant que nous ne connaissons pas l’utilisation qui en sera faite (dans le contexte actuel de suspicion et "d’appel à la délation")nous nous faisons l’écho des décisions de certains collègues qui ne souhaitent pas transmettre les données à leur IEN.
– les enseignants de CE1 sont perplexes devant les résultats obtenus, il semblerait, d’après les premières remontées que les taux d’échec soient énormes. Cela génère une certaine culpabilité parmi les enseignants de CP (qui connaissent bien les enfants testés). Ont-ils fait ce qu’il fallait, se demandent-ils ? La réponse soufflée et souhaitée par le ministère est peut-être NON ! On peut en effet se le demander, à l’heure où le ministre remet en cause les pratiques des enseignants et se fait le représentant de commerce de la seule méthode syllabique...
En résumé : quand on veut tuer son chien on l’accuse d’avoir la rage, pourrait-on dire plus simplement.
– le but n’est-il pas également de stigmatiser davantage les élèves en difficulté ? Comment expliquer aux élèves qui ont eu le sentiment d’être en échec lors de la première série d’épreuves qu’ils devront (contrairement à certains de leurs camarades) subir une nouvelle batterie de tests ? Et comment communiquer ces informations à leurs parents en ce début de CE1, sans les inquiéter ...?

Nous appelons tous les enseignants à nous faire remonter leurs points de vue, remarques, suggestions, analyses afin de nourrir la réflexion de toute la profession et de déboucher éventuellement sur une réaction commune.

Nous publions ci-après le compte-rendu d’une personne membre d’un RASED qui a souhaité garder l’anonymat.

"Analyse de l’évaluation CE1 de M/Me X

Remarques générales

L’objectif de cette évaluation est énoncé dans la circulaire n°2005-096 du 24-6-2005 ainsi : « Cette évaluation a été conçue pour permettre de cerner, au cours du premier trimestre, la nature des graves difficultés que peuvent rencontrer les élèves de CE1 dans les domaines de la lecture, de l’écriture et de quelques automatismes de calcul, et de déterminer les modalités de réponses pertinentes à apporter à ces difficultés .... » Voici une intention très louable.
Dans la présentation générale du livret de l’enseignant, il est précisé que cette évaluation permet de repérer les élèves en difficulté de lecture puis, suite à la passation du premier cahier, trois profils seront distingués en fonction des résultats (profil 3 : pas de difficultés en lecture, profil 2 : difficultés légères ou moyennes et profil 1 : difficultés importantes). Ensuite, les élèves classés profil 1 passeront une deuxième évaluation pour affiner l’analyse. Cette méthodologie est beaucoup moins louable.
En effet, classer les élèves en trois catégories peut avoir un effet discriminatoire et engendrer des conséquences négatives sur ceux classés en profil 1, stigmatisés comme ayant des difficultés lourdes, adjectif qui n’a rien d’anodin. Effets négatifs sur l’estime de soi, sur la motivation scolaire et sur l’inquiétude grandissante des parents. De plus, passer une deuxième évaluation accentuera certainement ces effets.
D’autre part, repérer des élèves en difficulté de lecture en se limitant aux seuls résultats de cette évaluation sommative, n’est pas suffisant pour rechercher ce qui fait obstacle à l’apprentissage et pour affiner le diagnostic. Seul un entretien d’explicitation mené avec l’élève et une observation de sa démarche permettra de dresser son profil de lecteur (son degré de motivation, sa représentation de la lecture, ses stratégies utilisées...). De plus, des éléments d’information sur son environnement scolaire et familial (attitude face aux apprentissages, face à l’adulte, comportement dans le groupe...) permettront de cerner les pistes de travail à suivre en classe ou à l’extérieur, d’accompagner l’élève dans son cheminement et de mettre en place les aides les mieux appropriées.
Et les mathématiques, la maîtrise de la numération en particulier, pourquoi n’est-elle pas prise en compte ?
Pourquoi cette évaluation en début d’année, alors qu’il est prévu, à l’avenir, de faire passer cette évaluation en fin d’année scolaire en remplacement de l’évaluation ce2 ? Quelles sont les intentions sous-jacentes ?

Réflexions de quelques enseignants recueillies par M/Me X

Les résultats obtenus, suite à la passation des épreuves du premier cahier, les ont abasourdis (plus de la moitié des élèves sont classés en profil 1, difficultés lourdes, je rappelle) Les collègues de CP sont très étonnés d’y retrouver des élèves qu’ils jugeaient compétents, un sentiment de culpabilité commence à naître.
Beaucoup d’exercices sont jugés trop difficiles pour la majorité des élèves car au-delà de leur zone de compétences.
La durée prévue pour la passation des exercices est nettement insuffisante et génératrice de stress voire de blocage. Les élèves venant de CP n’ont pas l’habitude de passer des épreuves dans de telles conditions où on mesure autant la performance que la compétence.
Ils utilisent déjà des outils d’évaluation avec ou sans la coopération du RASED pour faire le point sur les compétences de leurs élèves et ainsi adapter leur enseignement. Cela fait partie de leur travail de repérer les élèves qui sont en difficulté et de chercher des solutions pour les gérer.

Analyse des exercices proposés dans le premier cahier : quelques éléments de réponse à ces résultats

Exercice 1 : c’est un exercice qui a été proposé à l’évaluation ce2 2003 et avant ; ce type d’exercice est source d’erreurs pour tout lecteur quand on sait comment un lecteur identifie ou reconnaît un mot sans avoir besoin d’être vigilant à la graphie exacte du mot. De plus l’exercice est long, l’attention de l’élève est mise à l’épreuve ; certains mots proposés n’appartiennent au niveau ce1 quand on se réfère aux échelles de fréquence d’orthographe lexicale (Éole, Dubois-Buyse) ; enfin la correction est très sévère et pénalisante.

Exercice 3 : le dessin représentant l’enfant n’est pas clair ; proposer des pseudo mots est encore une fois source de confusions ; évalue-t-on l’identification du mot ou l’orthographe ?

Exercice 4 : écrire des syllabes qui n’appartiennent pas à la langue écrite courante et dénuées de tout sens (DURL, DORC, CLARP, ONL) n’a aucun intérêt si ce n’est de mettre des élèves en difficulté.

Exercice 5 : on évalue la compréhension de texte d’une seule manière, à l’aide de questions ouvertes, il aurait fallu proposer des questions style Vrai ou Faux qui sont beaucoup mieux réussies en général (voir évaluation ce2 par exemple). La question 1 est mal posée, elle est trop générale, par conséquent beaucoup d’élèves ont répondu « des carottes » cela prouve qu’ils font appel d’abord à leurs connaissances antérieures. Il aurait fallu ajouter « Que mange le lapin sauvage ? Par exemple. »

Exercice 7 : le choix de phonèmes consonantiques de prononciation très voisines est toujours source de confusions, exemple [ p ] et [b ] ; [ k ] et [ g ] ; [ s ] et [ z ] C’est un exercice difficile pour des lecteurs débutants. A propos, comment doit-on prononcer ces phonèmes ?

Exercice 10 : tout d’abord, le concept de définition est réservé au cycle 3 (programme de l’école élémentaire p. 197) On recherche plus la discrimination auditive (boule et poule ; lourd et sourd) qu’un travail sur le sens.

Exercice 11 : ce test de closure est très difficile en début ce1 car l’élève ne peut pas s’appuyer sur le contexte mais seulement sur la structure syntaxique et sur la morphologie des mots ; l’élève doit avoir des connaissances grammaticales pointues ! De plus la correction est encore sévère car, item 54, on peut accepter aussi bien, pantin en bois ou pantin de bois.

Exercice 14 : pour le choix du titre, 3 étiquettes auraient été suffisantes pour alléger la tâche.

Exercice 15 : en début d’année, chercher le complément à un nombre n’est pas une compétence acquise pour la majorité des élèves.

Exercice 17 : cet exercice est tiré d’un outil d’évaluation utilisé par les enseignants spécialisés du Rased, il s’agit de l’ECS III (évaluation des compétences scolaires au cycle III de A. khomsi) ; par conséquent il n’a pas sa place au ce1 ! Première image le réfèrent le peut renvoyer au mot miroir ; la tournure passive n’est pas une compétence attendue à ce niveau.

Exercice 18 : encore une épreuve difficile car elle met en jeu l’identification de mots isolés (sans déterminants) et des connaissances orthographiques sur les homophones.

Exercice 20 : item 95, l’intrus peut-être maison car ça ne commence pas par un v ; item 96 il n’y a pas forcément un intrus, ce sont 3 verbes d’action et item 97 on peut donner la réponse suivante c’est le mot plein car il a 5 lettres (là je cherche la petite bête !)

Exercice 21 : c’est encore un exercice difficile car il fait appel à la mémoire de travail qui est limitée en capacité pour tout individu (on ne peut retenir simultanément que 2 à 7 items) ; là on est presque au maximum : 3 exemples et 3 propositions soit 6 items.

Conclusion de M/Me X

Beaucoup d’exercices choisis dans cette évaluation privilégient plus la maîtrise de la langue écrite (les outils de la langue) que les compétences de lecteur. Tout enseignant ou tout professionnel de l’éducation sait qu’il y a un décalage temporel important entre l’apprentissage de la lecture et l’apprentissage de l’écriture. Il est normal que la maîtrise du code alphabétique soit plus longue à acquérir et qu’elle ne soit pas stabilisée à ce stade de la scolarité. Elle se perfectionnera par l’expérience tout au long de l’école élémentaire et après.
Le choix, peut-être délibéré, d’une évaluation qui met en difficulté la majorité des élèves d’une tranche d’âge est un choix pernicieux, je n’en vois pas l’intérêt. Alors je m’interroge toujours sur les intentions de ce protocole, cette année, d’autant plus que chaque enseignant de ce1 doit commander à son Inspection la quantité de cahiers 2 E nécessaire à la deuxième passation !"

Evaluations CE1 : attention danger

Evaluations CE1 : attention danger